Mon père avait déjà un potager. Il produisait largement de quoi nourrir toute la famille. A sa retraite, quand il est parti vendre le surplus sur les marchés, je l’ai suivi. Aujourd’hui, je travaille dans l’esprit de ce jardin que mon père m’a transmis.
Je pratique un maraîchage paysan, un maraîchage de jardin. Je n’aime pas parler de maraîchage « raisonné » car le terme est trop souvent galvaudé. Je ne peux pas me réclamer du bio, non plus. Je préfère dire que je cultive un grand jardin.
Installé depuis 1989 sur les terres sableuses, humifères et limoneuses de Saint Savin, c’est ainsi que Jean-Luc Pinaud définit sa pratique. Et il suffit d’oser quelques pas dans ce jardin pour rencontrer l’esprit qui l’anime. 3 rangs de haricots, une planche de salades, une autre de fèves, en butée les pommes de terre dont les feuilles sont dévorées par les doryphores. Plus loin, les serres avec leurs tomates en devenir et les fraises pour tout de suite. Coquelicots et pissenlits pour les bucoliques, mais les pluies du printemps font la part belle aux herbes folles et aux orties.
En moyenne 60 variétés sont cultivées chaque année sur 15 hectares dont beaucoup sont réservés à des cultures annuelles telles que l’asperge, la carotte et le poireau.
Me retrouver piégé avec 10 ha de salades, ça c’était ma hantise ! Surtout pas de grande distribution ! Mais cultiver 60 variétés, c’est aussi le choix d’entrer dans la complexité. C’est vrai, nos productions n’ont pas toujours des performances équivalentes sur la continuité. Nous dépendons du climat et du calendrier. Mais la motivation du jardinier, c’est quand on complimente le goût de sa carotte ou de sa pomme de terre, quand on se remet à manger de la salade parce qu’on en reconnaît la saveur. Nous avons besoin du retour des gens pour savoir si ça vaut le coup de continuer d’une année sur l’autre.
Pour savoir ce que les clients-consomm-acteurs en pensent, Jean-Luc ne recourt qu’à la vente directe. Sur des marchés de proximité, à la Cabane située au pied de son jardin et aux Amap de Brouettes et paniers et Poti’Bayon. Sur ces points de vente directe, c’est l’occasion pour la famille Pinaud de recueillir les échos de nos papilles, de partager les recettes fatales qui mettent en relief un légume ou un fruit, de nous inciter à découvrir de nouvelles variétés pour continuer à nous ouvrir sur les chemins oubliés de la « bonne-bouffe ».
Sans vouloir me vanter, le romanesco, j’ai été pionnier !
Certes, les navets se tordent, les choux fleurs parfois rétrécissent, les poireaux, si beaux l’hiver d’avant, sont aussi frêles que des aillets l’hiver suivant, mais le goût reste là, entier.
Parfois l’on bataille devant nos paniers d’amapiens pour savoir s’il s’agit de trouver trop rare le concombre, trop abondante la courgette et chacun de partager en quelle langue il décline les convictions de son ventre. Mais pour remettre tout le monde d’accord, chez les Pinaud, on ne trouvera ni ail, ni échalote, ni melon trop peu friands des sols sableux du jardin. Et cette année, exceptionnellement, opération aubergines-zéro car refuser d’utiliser des insecticides est un engagement qui n’est pas dépourvu de risques.
Ce qui nous différencie du bio, c’est l’agrément. On ne craint pas que la qualité du sol soit contrôlée mais certaines des normes imposées par le label ne me semblent pas tout à fait légitimes et parfois même paradoxales.
Alors, pour Jean-Luc, l’intelligence prévaut sur le label.
Sur les 2/3 du jardin, la culture est extensive, c’est-à-dire que la terre a largement de quoi se reposer. Pour toutes les autres cultures, nous respectons la rotation quand celle-ci se concilie avec ce que nous avons appris par l’expérience et par les livres. Et il rajoute généreux, apaisé et convaincu : Intervenir sur la qualité des légumes, c’est éviter les engrais, opérer des traitements raisonnés, rester vigilants sur les précautions d’utilisation de tous les produits y compris ceux tolérés en AB. Enfin et surtout, limiter l’apport d’eau et privilégier le travail à la main. Voilà les vrais atouts pour préserver le goût des fruits et des légumes au-delà d’une identité de terroir.
Bien que, depuis 1989, elle en est toujours à « serrer le boulon » ou à « rouler en Rolls à 3 roues », la famille Pinaud bosse jour après jour en y mettant sa tête, ses mains et son cœur, et, avec elle, 7 salariés du coin bossent aussi. Tous contribuent à ce que ce grand jardin de Saint Savin reste un espace libre où s’invente le maraîchage de demain, où s’exprime une horticulture authentique et intelligente qui s’adresse à la culture et à l’intelligence de tous.
Fabienne Clerc-Pape, une Amapienne engagée
Une parcelle représentant 1/6ème de l’exploitation est réservée aux AMAP. Les choix des graines et des amendements y sont spécifiques.